Jacques Neirynck
EUROPE / SCHENGEN: Les Suisses voteront ils comme des Français?
En France, la victoire écrasante
du non à la Constitution européenne ressemble à maints
votes helvétiques. C'est la rencontre, dite contre nature, entre
les deux extrêmes de la droite et de la gauche. Il y a deux non
français: celui des fascistes, souverainistes et nationalistes
emmenés par Le Pen et de Villiers; celui des communistes, gauchistes
et marxistes emmenés par Marie Georges Buffet et Emmanuelli. Ils
sont apparemment contradictoires. Mais cette apparence dissimule une réalité
commune: le refus du changement, la fermeture d'un pays sur lui-même.
Ce n'est pas non à la Constitution, c'est non à I'Europe.
Même situation en Suisse. L'opposition à Schengen se compose
de l'UDC et de l'extrême gauche. Ces deux non semblent encore plus
contradictoires: le premier trahit la crainte d' une ouverture sauvage
des frontières par l'abandon des contrôles policières;
le sécond redoute l'accroissement des pointages policiers par l'utilisation
de fichiers. Dès le début de cette législature, l'élection
de Chistoph Blocher contre Ruth Metzler fut assurée par l'abstention
des trois conseillers nationaux d'extrême gauche. On pourrait maints
autres exemples. De fait, cette alliance n'est pas contre nature: les
extrêmes travaillent à la dissolution des institutions, tout
désordre est le bienvenu, l'ennemi commun est la démocratie.
Ceux qui ont la mémoire très longue, se souviendront encore
de l'étonnant pacte germano-soviétique de 1939, qui a entraîné
le partage de la Pologne et le déclenchement de la Seconde Guerre
mondiale. En vue de la subversion de l'ordre démocratique, fascistes
et communistes se sont retrouvés par une alliance objective avant
de s'empoigner dans une lutte à mort. La victoire conjointe des
fascistes et des communistes français le 29 mai 2005 rappelle les
plus mauvais moments du siècle passé. Quiconque a participé
à des réunions d'information sur Schengen/Dublin a été
confronté à des objections tout à fait surprenantes:
si les Français votent non au référendum, cela signifie
que l'Europe est une mauvaise affaire et qu'il faut donc que les Suisses
refusent Schengen/Dublin. Ou encore: si nous acceptons Schengen/Dublin,
la Turquie entrera dans l'UE et nous serons envahis par des musulmans.
Il est très difficile, voire impossible, de circonscrire un vote
populaire à son objet. Au terme d'une campagne truffée de
demi-vérités et de mensonges avérés, faute
de prendre connaissance de textes souvent illisibles, l'électeur
moyen dépose un bulletin qui vise tout autre chose que le sujet.
Schengen/Dublin est un accord de nature technique visant à donner
les moyens améliorés aux forces de l'ordre, mais; le vote
sera émotionnel. Dans l'ombre portée par le vote français
de dimanche passé, le soutien au projet peut s'effriter de manière.
déterminante en Suisse romande. C'est la théorie politique
des dominos. Si un seul est renversé, toute la file s'écroule.
de proche en proche. Les non risquent de se multiplier à l'intérieur
de l'Union européenne. Et l'opinion suisse, confortée dans
sa .méfiance traditionnelle, risque même de refuser cet aménagement
de son isolement par le biais d'accords bilatéraux.
Avant de dire non; les Français auraient pu penser aux neuf pays
qui ont déjà dit oui. En démocratie directe, on apprend
à tenir compte de l'opinion des autres. Mais c'est tout un, apprentissage
que dix siècles de royauté absolue n'ont pas facilité.
Si les Suisses avaient été dans l'Europe, ils auraient pu
expliquer la démocratie directe aux Français, l'art du consensus,
le ralliement à thèse de l'autre par gain de paix. Mais
la Suisse n'est pas dans l'Europe. Si celle ci se défait, on ne
pourra pas dire que c'est notre faute. Au moins nous n'avons pas les mains
sales, puisque nous n'avons pas de mains.
(Jaques Neirynck, 24heures, 2 juin 2005)
25 mai 2005: Les français refusent la Constitution
européenne
1 juin 2005: Les Pays-Bas refusent la Constitution européenne
5 juin 2005: Les suisses acceptent les accords Schengen/Dublin
6 juin 2005: La Grande-Bretagne suspend son référendum
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